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Les déjà-vu de Francis Jolly

par Nancy Huston

On ne peut se défaire du sentiment que
sans les avoir jamais arpentés
ces paysages ruraux ou urbains
on les connait déjà intimement
parce qu’en notre cœur
dans le regard de notre cœur
ils sont posés, juxta- et super-
posés exactement ainsi :
non dans la confusion mais
dans l’intelligence mutuelle
du proche et du lointain
la lumière réciproque
du lointain et du proche

Les rayons du soleil tombent
à plusieurs angles différents ;
c’est le matinsoir, il fait nuitjour
la fenêtre éclaire les gratte-ciels
et les gratte-ciels éclairent la fenêtre
la route traque le ciel et
le ciel traque la route
la roche est transparente et
l’écriture traverse les nuages

Une vitre nous sépare du monde
elle prend la couleur de notre souffle
de notre rêve, de notre souvenir
ça pleure et ça pleut
ça se couvre d’humidité, faisant affleurer
ombres poussières vents
glissades reflets
hachures égratignures
déchirures de la mémoire

On soupire et se perd
on recule et tombe
on voit sans bouger : rien n’est tout à fait pareil
et pourtant on reconnaît, on reconnaît
on est plein de reconnaissance