Dans le carnet bleu des archives d’Hermann Rorschach, on découvre une expérience orpheline. Le psychologue a fait appel à la photographie pour moderniser le fameux test de la tâche d’encre. Rorschach s’est interrogé sur l’utilité que pouvait avoir l’émulsion photosensible dans l’opération de réplique du réel (une “symétrie miroir” selon son expression) susceptible de recueillir la lecture projective du patient.
Cet échantillon consiste en une prise de vue particulièrement complexe que lui a confié un ami paysagiste. Complexe en ce qu’elle superpose deux paysages aquatiques, le second formant par son reflet même un “pli” iconographique. Ainsi, et selon les termes employés par le patient, il s’agit d’une “île fantastique” qui apparaîtrait une fois franchi le premier plan dédoublé, formant une sorte de mirage. Au-delà du ricochet visuel apparaît alors, presque au centre de l’image, une île minuscule planté de quelques arbres. L’ensemble, par le jeu des nuances des sels d’argent, est pris dans des teintes grises qui évoquent les lueurs de l’aube marine.
Ce que n’avait pas prévu Rorschach est la dispute qui devait l’opposer au patient auquel il présentait la photographie comme le fruit d’un hasard – “cette photographie a été prise par hasard, expliqua-t-il, comme toute photographie, vous pouvez y voir ce que vous voulez : que voyez-vous ? -; “Je vois l’île fantastique, au cœur d’une photographie qui ne semble rien devoir au hasard” a répondu le patient. Avant de poursuivre: “La photographie n’est pas un hasard, elle est une représentation, un retravail du réel”.
Rorschach en resta coi, rangea définitivement le test photographique en prenant le soin de noter rageusement au verso : L’horizon.